Organisé par l'Espace Ethique du Cher avec la collaboration des Lycées Jacques Cœur à Bourges, le colloque intitulé "Ethique et responsabilité de l'accompagnement des personnes vulnérables" se tiendra à Bourges le 30 septembre 2025 de 8h45 à 16h30.
Marie BREIDENBACH-CASSAGNES, aux côtés de d'autres chercheurs et intervenants, aura le plaisir d'y présenter une communication sur l'éthique dans l'accompagnement des plus vulnérables : "Des paradoxes du travail social à l'émergence d'une éthique du care et d'une posture professionnelle contribuant au développement du pouvoir d'agir des personnes et des collectivités"
L'idéologie néolibérale emblématique de nos sociétés contemporaines appelle à une responsabilisation des individus dans des systèmes qui, paradoxalement, participent à la création de nouvelles formes de vulnérabilités sociales. L'injonction à l'autonomie, et la polysémie de ce terme galvaudé, nous invitent à questionner nos pratiques dans des contextes qui valorisent le paradigme individualiste et stigmatisent ce qui relève de l'assistance, quand il n'est pas fait mention d'assistanat. Ces réflexions relevant des champs politique et idéologique, nous permettront, dans un premier temps, à travers une approche sociohistorique du travail social (Pascal, 2020), de saisir en quoi cette dichotomie, loin d'être nouvelle, relève en réalité d'une permanence dans le champ de l'action sociale. Cette forme de continuité est probablement la résultante de cette "double référence du travailleur social, entre identification aux usagers et mandat tenu de la société" (Autès, 2013) qui l'invite tantôt au conformisme, tantôt à la résistance (Chibrac, 2005).
Inscrire cette réflexion dans une perspective à la fois historique et systémique tend à nous permettre de nous interroger et, dans une quête du "juste" (Ricoeur, 2010, cité par Labbé, 2021), d'opérer cette distance nécessaire avec la prescription (Bonasio et al., 2022) pour défendre une éthique du care dans la relation d'accompagnement, ce que Oury (2008) décrit comme un travail "inestimable" (cité par Molinier, 2016). Protéger consisterait ainsi à porter les valeurs du travail social, à la fois humanistes, républicaines et centrées sur le Droit (Bouquet, 2012).
Toutefois, loin de considérer que protéger consiste à prendre à charge ou à faire œuvre de charité, protéger, dans ses visées éthiques, consisterait plutôt à prendre en compte (Karsz, 2013), autrement dit à se montrer à l'écoute des attentes et demandes des personnes. L'approche centrée sur le développement du pouvoir d'agir des personnes et des collectivités (le Bossé, 2012, 2016), quand elle ne fait pas l'objet de réactualisations au service d'une injonction à l'autonomie au sein des institutions, nous paraît tout à fait intéressante pour dépasser les contradictions du travail social dont nous avons précédemment fait état. En effet, en privilégiant une perspective interactionniste, entre les humains, au cœur de la relation d'accompagnement (Paul, 2004), et entre les humains et les systèmes sociaux (Breidenbach-Cassagnes et al., 2024), cette approche nous semble contribuer à une forme de dépassement des conflits axiologiques et éthiques qui traversent aujourd'hui le travail social.
Nous proposons d'illustrer notre propos avec une recherche-action menée entre 2023 et 2025 dans le champ de l'asile, contexte d'intervention particulièrement contraint et révélateurs de bon nombre de vulnérabilités. En nous focalisant sur les évolutions représentationnelles des travailleurs sociaux (Mias et Piaser, 2016), nous montrerons en quoi cette approche contribue au maintien d'une éthique du care sans faire fi des enjeux sociétaux et législatifs avec lesquels les travailleurs sociaux et les personnes accompagnées sont sommées de composer. Nous montrerons également en quoi cette approche, en facilitant la mise en mouvement de la personne accompagnée à propos de ce qui est important pour elle, permet d'initier un processus de distanciation avec la prescription, mais aussi en quoi cette distanciation inscrit dans l’éthos professionnel (Jorro, 2022) s'avère à la fois réflexive et critique (Paul, 2016).
BIBLIOGRAPHIE
Autès, M. (2013). Les paradoxes du travail social ([2e édition]). Dunod.
Bouquet, B. (2012). Les valeurs du travail social. In Éthique et travail social: Vol. 2e éd. (p. 25‑46). Dunod. https://www.cairn.info/ethique-et-travail-social--9782100553686-p-25.htm
Bonasio, R., Veyrac, H., & Almudever, B. (avec Éducation, formation, travail, savoirs). (2022). Appropriations de nouvelles prescriptions : Activités en éducation scolaire. Octarès éditions.
Breidenbach-Cassagnes, M., Julier, A., Lacaze-Labadie, A., Achigar, M., Dutrey, P., Thibaud, L., Menil, L., & Devaux, V. (2025). Tensions et réflexions éthiques à propos du travail social auprès des personnes exilées. Pratiques de formation/Analyses, 70.
Chibrac, L. (2005). Les pionnières du travail social auprès des étrangers. Le service social d’aide aux émigrants, des origines à la Libération. Editions de l’école nationale de la santé publique.
Jorro, A. (2022). Ethos professionnel. In Dictionnaire des concepts de la professionnalisation (Vol. 2, p. 193‑196). De Boeck Supérieur. https://doi.org/10.3917/dbu.jorro.2022.01.0193
Karsz, S. (2011). Pourquoi le travail social ? Définition, figures, clinique. Dunod.
Labbé, S. (2021). Des engagements professionnels : Contributions à l’étude des professionnalisations [Habilitation à diriger des recherches]. Université Toulouse - Jean Jaurès.
Le Bossé, Y. (2012). Sortir de l’impuissance : Invitation à soutenir le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités: Vol. Tome 1 : Fondements et cadres conceptuels. ARDIS.
Le Bossé, Y. (2016). Sortir de l’impuissance : Invitation à soutenir le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités: Vol. Tome 2 : Aspects pratiques. Éditions ARDIS.
Mias, C., & Piaser, A. (2016). Les représentations professionnelles. In G. Lo Monaco, S. Delouvée, & P. Rateau (Éds.), Les représentations sociales : Théories, méthodes et applications (p. 319‑322). De Boeck.
Molinier, P. (2016). De la civilisation du travail à la société du care. Vie sociale, 14(2), 127‑140. https://doi.org/10.3917/vsoc.162.0127
Pascal, H. (2020). Histoire du travail social en France : De la fin du XIXe siècle à nos jours (2e édition). Presses de l’EHESP.
Paul, M. (2004). L’accompagnement : Une posture professionnelle spécifique (Accompagnement). L’Harmattan.
Paul, M. (2016). La démarche d’accompagnement. Repères méthodologiques et ressources théoriques. De Boeck Supérieur.
